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No Time To Die : les Amours fades de 007

Attention, cet article contient beaucoup de spoilers.

Il aura fallu six ans d’attente et au moins autant de reports pour que No time to die débarque enfin sur le grand écran, en pleine pandémie de Covid-19. Et quel film ! Cary Fukunaga nous a offerts exactement tout ce qu’on pouvait attendre d’un bon James Bond, avec dans le lot quelques twists auxquels on ne s’attendait pas forcément (et dont l’ingéniosité reste à débattre).

Le film est globalement bon, je dirais – voire très bon par moments. Il est bien filmé, bien joué, les scènes d’action sont exaltantes, l’intrigue un peu absurde mais tout à fait divertissante. C’est définitivement bien mieux que Spectre.

Plusieurs choix scénaristiques restent douteux. La décision de tuer Bond perd beaucoup de son impact quand on sait qu’il sera réincarné dans une nouvelle continuité. On peut en dire de même pour la fin tragique de son allié Felix Leiter et celle, plus satisfaisante, de son ennemi suprême Ernst Stavro Blofeld (décédé dans une scène extrêmement anti-climatique, par ailleurs). Ces personnages sont moins des personnages que des icônes, périodiquement ressuscitées pour tel ou tel film, toujours jouées par des acteurs différents. Briser les conventions, c’est très intéressant, mais tuer ce genre de personnages a-t-il le moindre sens quand ils ne sont jamais tout à fait morts ? L’audace n’est-elle pas gaspillée ? Il n’y avait pas besoin d’aller jusque-là pour faire du neuf, et le film était déjà novateur à bien des aspects.

Cependant, la plus grande faiblesse de No time to die réside dans ce qui est censé être sa plus grande force, le cœur de sa puissance émotionnelle : les amours de James Bond et Madeleine Swann.

007 et Dr Swann à la fin de Spectre, 2015

Après avoir vaincu Syafin, le Grand Méchant, Bond est infecté par le virus Héraclès, programmé pour éliminer quiconque possède les gènes de son grand amour Madeleine Swann. Le moindre contact la tuera – et par extension leur fille, Mathilde, que Bond vient à peine de rencontrer. Plutôt que de vivre une existence loin de sa famille, Bond décide de se laisser mourir dans l’explosion nucléaire qui doit détruire le repaire de Syafin. Quelques minutes avant l’impact, il contacte Madeleine pour lui faire ses adieux tandis que la petite Mathilde, joyeuse et insouciante, joue avec des cailloux derrière sa mère.

La scène est censée émouvoir, toucher, prendre aux tripes. La musique (Final Ascent de Hans Zimmer) est un chef-d’œuvre dramatique qui accompagne formidablement bien la lente ascension de 007 vers son destin ultime, sa dernière conversation avec la femme de sa vie, ses derniers mots d’amour et de dignité avant que la frappe nucléaire n’emporte notre héros dans un nuage de fumée. C’est bien filmé, bien ficelé, bien fichu. Et pourtant, ça laisse de marbre.

Dr Madeleine Swann (Léa Seydoux), Spectre, 2016)

Je n’ai rien contre Madeleine Swann. C’est une Bond girl tout à fait convenable. Hautaine, intelligente, pas complètement inutile, et naturellement pourvue de cette beauté classique qui caractérise autant les aventures de Bond que les Vodka martinis et les poursuites en Ashton Martin. Swann fait très bien l’affaire pour un film – un film. Pas deux. Sa relation avec Bond est beaucoup trop inconsistante dans Spectre pour justifier sa promotion au statut de Grand Amour Ultime dans le film suivant. Malgré tous les efforts de Fukunaga, No time to die part sur des bases trop fragiles pour réussir à convaincre que cette liaison somme toute très courte et essentiellement basée sur l’adrénaline soit l’incroyable histoire d’amour pour laquelle James Bond accepterait de sacrifier sa propre vie – et l’ego surdimensionné qui va avec.

Certes, me dira-t-on, les histoires d’amour (enfin, « histoires d’amour ») ne sont jamais très développées chez James Bond. La formule est bien rodée depuis Dr No : Bond rencontre une scientifique, comptable ou ninja qui pourrait être candidate à Miss Monde, fait son business, et l’expédie ensuite à Tombouctou. Entre les bagarres, explosions, gadgets délicieusement ridicules, répliques bien senties et ricanements de méchants caressant leurs méchantes moustaches, qui a le temps pour une histoire d’amour qui tienne la route ? L’important est que James Bond sauve le monde avec panache et tombe une meuf canon au passage – ou six.

Bond (Sean Connery) et Honey Rider (Ursula Andress), Dr No, 1962

Mais à partir du moment où on a décidé de changer de paradigme et de rendre James Bond sincèrement amoureux, ce genre de caractérisation superficielle ne tient plus la route.  Il faut convaincre le public que cette fois, c’est spécial.

Dans Spectre, Madeleine s’éprend de James Bond au pied levé après deux jours d’interactions haineuses et zéro connexion ; Bond lui-même n’a aucune hésitation à quitter le Service de Sa Majesté pour vivre le restant de ses jours avec la femme dont le père s’est suicidé sous ses yeux avec son Walther PPK. Autant dire que les bases de leur romance ne semblent ni solides ni particulièrement saines. Un film plus tard, nous n’avons toujours pas la moindre idée de ce qui est censé lier ces personnages à part le fait d’avoir échappé à la mort ensemble plusieurs fois, une profusion de déclarations sentimentales un peu trop forcées pour être honnêtes, et un physique particulièrement avantageux.

Vesper Lynd (Eva Green) et James Bond (Daniel Craig), Casino Royale, 2006

Dans Casino Royale, la relation entre James Bond et Vesper Lynd est beaucoup plus développée. Oh, dans les limites de James Bond, bien sûr – il ne faut pas trop en demander non plus. Mais l’effort est là, et l’alchimie entre Daniel Craig et Eva Green rend la romance crédible. Ils passent plusieurs jours ensemble et traversent de nombreuses péripéties où ils apprennent à se connaître sous diverses facettes. Badinages spirituels imprégnés de tension sexuelle, bagarres et petits meurtres de mafieux dans les escaliers de service, tendres câlins larmoyants sous la douche, disputes, rires, longues vacances ensoleillées sur la Méditerrannée… c’est intense, c’est touchant, ça marche. Au point que l’esprit de Vesper Lynd ne cessera de hanter Bond dans les films suivants.

Vesper Lynd (Eva Green) et 007 (Daniel Craig), Casino Royale, 2006

Sans parler de la scène iconique de leur première rencontre, ce chef-d’œuvre sensuel de séduction belliqueuse et fines insultes relevées au vin rouge. Comparez avec la scène d’interrogatoire froide et guindée qui tient lieu de première rencontre entre Bond et Madeleine : j’ai vu plus de sensualité dans l’allée bio au supermarché. Est-ce si surprenant que, même après No time to die, Vesper Lynd soit toujours considérée comme le véritable amour de James Bond ? Les réalisateurs de Spectre ont semblé penser que la beauté de Léa Seydoux et quelques interactions hostiles suffiraient à combler le vide ; No time to die démontre douloureusement qu’il n’en est rien.

C’est ce qui rend le sacrifice de Bond aussi accablant – non pas l’acte en lui-même, mais qu’il ait été commis au nom d’une histoire d’amour aussi peu convaincante. Tuer James Bond est loin d’être un choix anodin – c’est une première dans l’Histoire du cinéma ! Est-ce que c’était une bonne idée ? Ça se discute. Mais une chose est sûre : quitte à tuer 007, autant le faire bien. Et à cet égard, No time to die est une déception. Madeleine est sympathique, et sa fille est très mignonne, mais il n’y a tout simplement pas assez de lien et d’histoire avec Bond pour rendre le geste émouvant et significatif.

Sans compter que le geste n’a pas beaucoup de sens. Même s’il était condamné à ne plus revoir sa femme et sa fille, Bond ne se serait jamais sacrifié. Il a accumulé trop d’ennemis au cours de sa carrière ; elles seraient toujours potentiellement en danger, et il ne les aurait jamais laissées affronter ce danger toutes seules. Cela aurait pu être un destin tout aussi dramatique et chargé émotionnellement : vivre dans les ombres afin de surveiller et protéger sa famille, sans pouvoir la rejoindre. Une fin douce-amère qui témoignerait de la nouvelle maturité de Bond et la sincérité de ses sentiments. Sa mort n’était pas nécessaire – à vrai dire, elle le présente même sous un jour négatif, vu qu’il a décidé de laisser sa femme et sa fille se débrouiller seules dans un monde où elles seront constamment prises pour cibles.

C’est vraiment dommage.

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